Un criminel devenu parfait

Guilhem Bélibaste naît vers 1280 à Cubières, un village du Razès (Aude). Sa famille, des paysans aisés, est totalement acquise au catharisme. A Cubières, les Bélibaste reçoivent de nombreux parfaits de marque comme Pierre Autier et Philippe d’Alayrac. Les frères de Guilhem, bergers, accompagnent même fréquemment certains de ces parfaits dans leurs tournées clandestines. En effet, malgré les efforts de l’église catholique depuis presque un siècle pour éliminer l’hérésie cathare, celle-ci est encore bien vivace et se développe même à nouveau en Ariège et en Razès grâce à la prédication des frères Autier.

Malgré ces antécédents familiaux, ce n’est pas par vocation que Guilhem Bélibaste entre dans les ordres, mais un peu par hasard. Vers 1305-1306 au cours d’une rixe il tue un berger de Villerouge-Termenès. Une procédure judiciaire est lancée contre lui. L’archevêque de Narbonne, seigneur de Villerouge et de Cubières le reconnaît coupable et confisque ses biens. Pour sauver sa peau, Bélibaste abandonne sa femme, son fils, et rentre dans la clandestinité auprès des parfaits cathares. Pour sauver son âme et par pénitence, il doit rentrer dans les ordres. Il est initié et ordonné parfait à Rabastens (Tarn) par Philippe d’Alayrac. Mais les deux compagnons sont arrêtés et enfermés dans la sinistre prison de l’Inquisition de Carcassonne : le Mur. Ils parviennent cependant en 1309 à s’en échapper et se réfugient en Catalogne dans le comté d’Ampurias. Quand Philippe d’Alayrac retourne dans le royaume de France exercer son ministère, Bélibaste, moins courageux, préfère ne pas l’accompagner. Bien lui en prend car peu de temps après, il apprend l’arrestation et la mort sur le bûcher de son ancien compagnon.

Fuyant l’insécurité, il s’éloigne par étapes de la frontière où il risque d’être reconnu et arrêté. Par précaution il change aussi de nom : il se fait appeler Pierre Penchenier, nom inspiré de son nouveau métier, fabricant de peignes de tisserands. Il se loue aussi parfois pour des travaux saisonniers dans les vignes ou travaille comme berger près de Poblet avec son ami Pierre Maury

L’imparfait cathare de Morella

En 1314 il se fixe à Morella, dans le royaume de Valence. En effet, dans le village voisin de San Matéo vit une petite communauté de cathares occitans en exil, pour la plupart originaires de Montaillou (Ariège), et dont il devient le pasteur. Au sein de cette communauté il abuse parfois de son autorité spirituelle, notamment avec son ami Pierre Maury trop généreux : Ce dernier raconte :  » Comme nous avions acheté en indivision, Bélibaste et moi, six brebis, dont j’avais entièrement payé le prix (et je lui avait donné en outre cinq sous), l’hérétique voulut emmener avec lui trois brebis sur ces six, disant qu’elles étaient à lui, et que je lui avais donné l’argent de ces brebis et les cinq sous pour l’amour de Dieu. « . Pour donner le change aux catholiques, il fait croire qu’il est marié en vivant avec une veuve, Raimonde Marti, et sa fille. En réalité Raimonde Marti est sa concubine depuis plusieurs années et tombe enceinte en 1320. Pour donner le change cette fois-ci aux cathares, car il a rompu son voeu de chasteté, il la marie à son ami Pierre Maury qui endosse la paternité, puis, jaloux, défait ce mariage.

Cependant, il prend au sérieux son rôle de pasteur. Il prêche, bénit, administre le consolament (sacrement cathare) aux mourants et reçoit régulièrement des croyants parmi lesquels Arnaud Sicre, dont la mère est morte sur le bûcher. A ce dernier il enseigne à sa manière, naïve, populaire mais imaginative, les croyances de sa religion :
 » Alors l’ennemi de Dieu, Satan, fit des corps d’homme dans lesquels il enferma ces esprits.
(…). Ces esprits, quand ils sortent des tuniques, c’est à dire d’un corps, se sauvent tous nus, apeurés, et ils courent si vite, que si un esprit était sortit d’un corps à Valence et devait entrer dans un autre dans le comté de Foix, et qu’il plût abondamment sur tout le parcours, c’est à peine si trois gouttes de pluies l’atteindraient. Courant ainsi apeurés, il se pose dans le premier trou vide qu’il peut trouver, c’est à dire dans le ventre de tout animal qui porte un embryon encore sans vie : chienne, lapine, jument, ou n’importe autre animal, ou encore dans le ventre d’une femme, de telle sorte cependant que si cet esprit a mal agit dans son premier corps, il s‘incorpore dans le corps d’une bête brute ; si au contraire il n’a pas fait de mal, il entre dans le corps d’une femme. Ainsi les esprits s’en vont de tunique en tunique jusqu’à ce qu’ils entrent dans une belle tunique, c’est à dire dans le corps d’une homme ou d’une femme qui a l’entendement du bien (c’est à dire cathare), que dans le corps ils soient sauvés, et qu’après être sortis de cette belle tunique, ils retournent au Père saint « .

En réalité Arnaud Sicre, si désireux de  » s’ouvrir à l’entendement du bien  » n’est là que pour gagner la confiance de Bélibaste, le faire arrêter, et se faire restituer les biens confisqués à sa mère par l’inquisiteur qui l’a envoyé

Le dernier parfait occitan

Bélibaste, qui malgré les entorses à la règle désire rencontrer d’autres parfaits pour se faire réordonner, se laisse convaincre par Arnaud Sicre de revenir en Languedoc. Sur le chemin à Tirvia dans le diocèse d’Urgell, en mars ou avril 1321, Arnaud Sicre le dénonce au bayle du comte de Foix, seigneur du lieu. Arrêté, conduit à Castelbon, il est emprisonné dans la tour du château avec -comme cela est de coutume- son dénonciateur. Pendant la nuit Bélibaste tente vainement de convaincre Arnaud de recevoir le consolament, et de se suicider ensemble du haut de la tour pour entrer directement au ciel. Jugé à Carcassonne, Bélibaste est brûlé le 24 août de la même année dans le château de Villerouge-Termenès, résidence de l’archevêque de Narbonne son seigneur, qui l’avait déjà condamné pour meurtre.

Avec Bélibaste disparaît l’église cathare occitane : après sa mort et jusqu’au milieu du XIVe siècle, on ne brûle que de simples croyants. Cependant subsiste une église cathare en Bosnie dont les membres se convertiront à l’Islam à la fin du XVe siècle. Le dernier parfait occitan s’écarta souvent de la règle de vie rigoureuse des parfaits. Il mourut cependant avec dignité, sans abjurer sa foi. Sa mort en martyr milite encore aujourd’hui pour la tolérance religieuse. (D’après Gautier LANGLOIS)

Une affaire judiciaire partiellement résolue… 700 ans après !

Dans une affaire de meurtre on connaît la victime mais pas toujours le coupable. Ici, c’est le contraire, le coupable, Bélibaste, était connu. Mais de sa victime, un berger, on ne savait rien. La solution dormait dans un vieux registre conservé à la bibliothèque de Narbonne. L’Inventaire des archives de l’archevêché de Narbonne nous apprend que la victime s’appelait Barthélémy Garnier et était originaire de Villerouge-Termenès. Il reste à découvrir le mobile du crime. Risquons une hypothèse : Villerouge était la résidence d’été de l’archevêque de Narbonne, ses habitants dont Barthélémy Garnier étaient donc sans doute des catholiques convaincus. C’est sans doute dans les pâturages d’estive de Cubières où il devait mener des troupeaux de l’archevêque qu’il rencontra Bélibaste. Menaça-t-il Bélibaste de le dénoncer comme hérétique ? Si tel est le cas, on peut accorder les circonstances atténuantes à Bélibaste

Bibliographie :L’essentiel de ce que l’on sait sur Bélibaste est contenu dans les dépositions d’Arnaud Sicre et de Pierre Maury recueillies par l’inquisiteur Jacques Fournier, futur pape sous le nom de Benoît XII. Ces dépositions qui se lisent comme de petits romans ont été publiées par Jean DUVERNOY : Le registre d’inquisition de Jacques Fournier (Évêque de Pamiers), 1316-1325, aux éditions Mouton, Paris, 1978.
Les origines de Bélibaste et le meurtre commis par lui ont été éclairés par un article de G. LANGLOIS :  » Notes sur quelques documents inédits concernant le parfait Guilhem Bélibaste et sa famille « , dans la revue Heresis publiée par le Centre d’Études Cathares, n° 25, 1995.

Le seul ouvrage consacré exclusivement à Bélibaste est en italien : Lidia FLÖSS : Il caso Belibaste, Milano : Luni Editrice, 1997.

Enfin, Henri GOUGAUD lui a consacré un roman : Bélibaste, publié aux éditions du Seuil en 1982.
Tous ces ouvrages peuvent être consultés et pour certains commandés au Centre d’Études Cathares à Carcassonne. (Tél. 04 68 47 24 66).

Le château des archevêques de Narbonne à Villerouge-Termenès (11), abrite une très belle exposition permanente sur Bélibaste et son temps. (Tél. 04 68 70 09 11).

Egalement le Roman de Giovanni BRAIDA « Guillaume Bélibaste, l’ultimo perfetto » ed Mauro Baroni/Mediterranen

Sources : Recherches historiques de Monsieur Gauthier Langlois

Monsieur Pierre Bascou, historien, a établi un lien entre le hameau des Baillessats et la famille Bélibaste.   Le souvenir de Bélibaste

On peur raisonnablement penser, au vu de sa recherche, que le nom Baillessats est une mauvaise graphie de Bélibaste, nom sous lequel le lieu a été désigné jusqu’au XVIIe siècle. Et que la bergerie qui est à l’origine du hameau appartenait à la famille Bélibaste qui lui a laissé son nom ainsi qu’au petit plateau attenant, le « pla de Bélibaste ». D’ailleurs Guilhem Bélibaste était berger.